Visite aux Frondella

Ce mois de juin 2003 caniculaire fait fondre à grande vitesse l'important manteau neigeux d'un hiver pourtant très enneigé. Depuis assez longtemps, la crête des Frondella, 3000 les plus occidentaux des Pyrénées, m'attirait. Souhaitant profiter de la neige pour un grand circuit (un peu trop ambitieux) et de la tranquillité précédant les grandes vacances, je décide assez soudainement de monter au refuge du Larribet. Après une demi-journée de travail vendredi matin, je pars en voiture sous la chaleur (38° à Toulouse). Arrivé au parking vers 17h, il y a un léger souffle de vent et l'air n'est pas étouffant comme en plaine. 1h30 plus tard, je suis au refuge. Deux autres personnes restent pour manger, mais je serai le seul à passer la nuit (mais où sont les montagnards ?). Les gardiens sont sympathiques et connaissent bien le massif, je les regretterai (ils vont prendre le refuge de Bayssellance, suite à sa rénovation).

Samedi matin, réveil à 5h30 pour partir à la première lumière. À 6h, il fait suffisamment clair et déjà chaud : la polaire est juste nécessaire à 2000m et la veste de montagne ne sortira jamais du sac. Montée tranquille le long des lacs de Batcrabère. Quelques icebergs flottent encore dans le grand lac sous la paroi rougissante du Palas. J'embarque sur la neige au premier lac de Micoulaou, à peine discernable, en direction des passes de la Barane au centre desquelles se dresse un grand monolithe rectangulaire. Au col, je trouve le soleil, mais pas pour bien longtemps. Vue inattendue sur l'Arriel, l'Ossau et les sierras aragonaises. Je replonge aussi sec dans l'ombre pour descendre au gourg Glacé, dont aucune trace ne révèle l'existence, avant de remonter au col Wallon, large échancrure sur l'arête ouest de la Frondella Centrale. Première pause, 2h depuis le refuge.

Une courte traversée horizontale permet de découvrir le grand plan incliné sous la crête découpée des Frondella. Par facilité, je chausse les crampons (ici la pente est assez faible et la neige loin d'être gelée), avant de m'élever vers le pied de la crête. Sur le haut, je m'oriente progressivement à droite vers la Frondella Occidentale, la pente s'accentue. Je repère plusieurs cairns qui indiquent à droite la voie « normale » : il faut prendre une large corniche (recouverte de neige) pour traverser assez haut un étroit couloir raide et rejoindre l'arête Robach à l'ouest du sommet. Parvenu devant le couloir, je m'interroge : il est raide, enneigé, et de l'autre côté, il faut prendre pied sur une dalle en dévers ; la suite n'est pas visible. Je reste de longues minutes à regarder le couloir, à voir si je peux raisonnablement traverser avec les crampons (vaguement envisageable mais comment franchir le rocher déversant de l'autre côté ?) ou sans les crampons (pas envie du tout !). J'essaye d'escalader la rive droite du couloir, mais il n'y a guère d'avenir dans cette direction. Je finis par renoncer en prévoyant de revenir en fin de saison, quand j'ai l'idée d'aller voir si je peux rejoindre la crête principale des Frondella au-delà du dernier gendarme. Comme la neige arrive une dizaine de mètres sous la brèche la plus basse, ça ne paraît pas si idiot (vu de plus près, j'ai des doutes).

En longeant la face nord, j'aperçois une petite vire et deux cairns discrets. Ce jour-ci, le départ de cette vire est finalement assez évident : il suffit de monter là où la neige est la plus haute, puis encore deux mètres faciles de rocher, un cairn, une vieille sangle abandonnée et la vire. Je commence à prendre la vire étroite, et au milieu, il y a un pas très impressionnant : un trou d'une soixantaine de centimètres ; de chaque côté, la vire, en légère montée mais parfaitement plane, fait vingt à trente centimètres de large et elle est mouillée. J'hésite, n'y crois pas, fais demi-tour, essaye sans succès une cheminée à gauche du départ de la vire, hésite encore, commence à préparer les crampons pour abandonner, et finalement je retourne voir le trou béant. Un grand pas sans hésiter, un deuxième sans s'arrêter, un troisième la vire s'élargit et je respire enfin. Après c'est du rocher plus classique : suite de petits murs ou cheminées de 2 à 4 mètres de haut, pas toujours évidents, mais entrecoupés de balcons, donc sans trop de danger. 9h40, sommet et retour au soleil réconfortant. Un petit grignotage, quelques photos et on repart. Descente sans histoire (en ayant bien repéré le chemin de montée), pas de rappel nécessaire (de toute façon, je n'ai rien pour). La vire étroite et son trou béant sont toujours aussi impressionnants, mais il n'y a pas le choix. Retour à la neige, crampons.

La traversée sous la crête des Frondella permet de se reposer un peu avant la montée facile vers la Frondella centrale. Sous le sommet, une brèche rectangulaire offre un beau point de vue sur les pics d'Enfer. La Frondella centrale n'est guère marquée et sans s'attarder au-delà de quelques photos sur la face SO du Balaïtous, je continue jusqu'à la Frondella Orientale, point culminant de la crête. 4h40 depuis le refuge. Longue pause en T-shirt, grand soleil, pas de vent. La crête du Diable offre ses pointes et entailles au regard ; le Balaïtous est tout près, assez massif de ce côté-là alors qu'au sud la fine crête des Frondella s'étire sur un kilomètre ; le pic d'Arriel est élégant et le Palas avec la cheminée Ledormeur semble inviolable ; plus loin les pics d'Enfer montrent leur belle dalle blanche. Première décision importante pour la suite : vais-je jusqu'au Balaïtous via la brèche Latour ? Sinon, retour par le Larribet ou par la Peyre St-Martin ? Dans ce dernier cas, descente à l'est par le couloir de la brèche Cadier (entre Frondella Orientale et Aiguille Cadier) ou par le contrefort Ledormeur (issu de la Frondella Centrale) ? Je repousse la décision en choisissant d'aller visiter l'aiguille Cadier. Il sera toujours possible de revenir en arrière à la Frondella Centrale.

Descente pourrie (rochers peu fiables) en évitant le fil de l'arête puis courte traversée prudente du névé incliné pour rejoindre la brèche Cadier. J'enchaîne sur le fil de l'arête, une brèche m'oblige à descendre assez bas pour y remonter, puis une courte escalade amène au sommet élancé de l'aiguille Cadier. Avec le cairn sommital, il y a tout juste la place pour se tenir debout, en équilibre au-dessus du glacier de la Frondella. Pour la première fois de la journée, j'aperçois d'autres personnes : plusieurs Espagnols s'élèvent au-dessus de la brèche Latour à l'assaut du Balaïtous et deux autres sortent sur la bordure nord du couloir oriental de la brèche Cadier. Une discussion confuse entre mon espagnol inexistant et leur français limité a lieu, moi pour connaître l'état du couloir de descente, eux pour l'accès à la Frondella. Le couloir est enneigé et extrêmement raide, je suis leur conseil en passant par la bordure gauche, sans réelles difficultés. Juste choix, une profonde rimaye coupe en deux le couloir. Plus bas, la pente rocheuse devient difficile et il faut trouver un point d'attaque pour rejoindre le névé inférieur. La rimaye de côté ne présente guère de faiblesse, si ce n'est un affaissement d'accès compliqué : il me faut descendre dans l'entaille et franchir deux mètres en opposition entre glace et rocher. Crampons, descente attentive, et me voilà au pied de la brèche Latour. Plusieurs cordées espagnoles s'y trouvent et semblent souffrir au passage de la rimaye. Remonter au Balaïtous paraît excessif, d'autant que la descente du couloir de las Néous m'inquiète : l'enneigement semble plus faible qu'il y a deux ans à la même époque et je crains un passage nécessitant une corde que je n'ai pas.

Au pied de la brèche Latour, je profite longuement du site remarquable de cette montagne fermée encerclée par les crêtes du Diable, de Costérillou et des Frondella. La descente jusqu'au lac de Respomuso est bien tracée et cairnée. Je regrette seulement de n'être pas passé par le lac encaissé de Sclousère pour une descente expéditive dans le fond du barranco de Respomuso, bien enneigé. En deux heures (depuis la Frondella Orientale), j'atteins le refuge de Respomuso/Piedrafita au bord du lac. Au pied des sauvages crêtes du massif du Balaïtous, le paysage de l'immense cirque de Piedrafita est totalement différent, avec de larges vallées herbeuses dominées par les pyramides de Llena Cantal et de la Fache. Le bon sentier file à l'est vers le joli site de Campoplano, malheureusement saccagé par d'anciens travaux (barrage inachevé, bâtiments ruinés, pylônes et câbles rouillés). Les traversées des torrents qui débordent de leurs lits sont la dernière difficulté de la journée. En une heure, je suis au défilé de la Peyre Saint-Martin, où un panneau démoralisant m'attend : parking à trois heures ! Le sentier est bien tracé, les nuages d'orages couvrent maintenant les crêtes de leur noirceur et 2h20 suffiront à la descente. Quelques gouttes et une route détrempée confirmeront que la menace était sérieuse.

Au final, un circuit de grande beauté, varié, plutôt long et un peu technique.

Course effectuée le samedi 14 juin 2003.